L’ancien journaliste du Journal de Québec, Jean-Guy Allard, qui vivait et travaillait à Cuba depuis le début des années 2000 a rendu l’âme mardi matin à La Havane, à l’âge de 68 ans.
Qui était Jean-Guy Allard, dans ces mots :
66 secondes avec: Jean-Guy Allard
Par Jean-Hugues Roy
Propos recueillis par Jean-Hugues Roy, journaliste à l’émission 5 sur 5 à la télé de Radio-Canada. Vol. 28, no 8, novembre 2004
L’auteur du «Dossier Robert Ménard: Pourquoi Reporters sans frontières s’acharne sur Cuba» (Lanctôt Éditeur, 2004, 118 pages) a un parcours particulier. Ancien directeur de l’information au Journal de Montréal et au Journal de Québec, il est aujourd’hui rédacteur et traducteur à Granma Internacional, l’organe officiel du Parti communiste cubain. Le Trente l’a joint à son domicile à La Havane.
Le Trente — Comment êtes-vous passé de la rue Frontenac à la Plaza de la Revolución?
Jean-Guy Allard — J’ai travaillé pratiquement 30 ans pour Quebecor. Sauf deux ou trois ans, j’ai été cadre syndiqué ou non syndiqué des rédactions où je me trouvais. J’ai voyagé pour la première fois à Cuba en novembre 1967 et y suis retourné souvent avec des entreprises qui cherchaient des contacts. Je me suis remarié ici, j’ai eu un enfant. Puis j’ai décidé de décrocher du Québec, de ses bancs de neige, de ses taxes, de Jean Chrétien. Je suis arrivé ici à la fin 2000.
On m’a confié la couverture de tout ce qui touche le terrorisme contre Cuba. Je traite également des groupes extrémistes de Miami.
Et je me suis rendu compte que le site web de RSF exagérait sur Cuba. Faut pas avoir voyagé longtemps en Amérique latine pour savoir qu’un journaliste opposé au régime, dans la plupart des pays, on va vite lui trouver un ravin où il va finir ses jours.
Le Trente — Pourtant, RSF en parle et dénonce cela aussi.
J.-G. A. — Oui, mais il en parle bien doucement à comparer avec Cuba. Je ne prétends pas qu’ils n’aient pas touché ces sujets. Mais ce qui est incompréhensible, c’est que Robert Ménard s’attaque d’une façon aussi perverse à Cuba.
Le Trente — Y a-t-il à Cuba une liberté de presse semblable à celle qu’on retrouve au Québec?
J.-G. A. — Parlons-en, de la liberté de presse au Québec. Je n’y crois pas du tout. J’ai eu assez de commandes de front page sur Céline Dion ou n’importe quelle autre connerie, au fil des ans! Les journaux vivent de la publicité qui les soutient financièrement.
Le Trente — Mais la liberté de presse à Cuba est-elle plus grande?
J.-G. A. — Non. Je ne vais surtout pas prétendre ça. La presse cubaine est la presse d’un pays qui est attaqué depuis 45 ans par les États-Unis. On rigole pas, là. C’est une presse militante, qui défend les idées du pouvoir, c’est indéniable.
Le Trente — Peut-on critiquer le régime dans votre journal?
J.-G. A. — C’est rien de très original que de critiquer ici la qualité des transports, les services d’électricité, le fonctionnement des entreprises, etc. C’est pas exactement le pays où les gens sont muselés. Faire taire un cubain, c’est aussi difficile que d’empêcher un Parisien de râler.
Le Trente — Mais peut-on critiquer Fidel Castro, le pouvoir?
J.-G. A. — Ah, ben là, ça tombe à un autre niveau. Il y a ici un sens de l’affrontement avec les États-Unis, donc il y a quand même un certain respect à conserver. Mais depuis les années où je travaille ici, je n’ai vu aucune tête rouler. J’en ai vu bien plus chez Quebecor!
Le Trente — En mars 2003, 27 journalistes indépendants ont été arrêtés, non?
J.-G. A. — Ç’a été galvaudé. Il s’agit d’individus qui ont été recrutés, entraînés, financés et équipés par la Section des intérêts américains à La Havane. Leur rôle était de retourner dans leur province et d’envoyer des rapports disant: tel jour, au coin de telle rue, machin chouette s’est engueulé avec Untel.
Le Trente — Si ce qu’ils faisaient était si ridicule, pourquoi les arrêter?
J.-G. A. — À un moment donné, ça devient des collabos d’une ambassade étrangère. C’est comme dénoncer des collabos en France, à l’époque de l’occupation allemande.
Le Trente — Le problème de votre livre n’est-il pas qu’il a été écrit par vous, un employé du régime cubain?
J.-G. A. — C’est vraiment un pamphlet. Je n’ai pas de gêne à dire où je travaille. Je suis pas mal plus fier d’être branché sur la révolution cubaine que sur un régime qui bombarde des enfants à Bagdad. Vous dites que je travaille pour le régime. Si je travaillais pour La Presse, je travaillerais pour le régime capitaliste. Je ne suis pas un partisan aveugle de tout ce qui se trouve ici, mais je pense que Cuba se bat pour des causes justes.
Source :
https://www.fpjq.org/66-secondes-avec-jean-guy-allard/